TRILOGIE DE CORFOU - III - LE JARDIN DES DIEUX
Author: DURRELL GERALD
Publisher: TABLE RONDE
ISBN: 9782710370666
Publication Date: April 3, 2014
Description: ExtraitDES CHIENS DES LÉROTS ET DU DÉSORDRE«L'innommable Turc devrait être immédiatement éliminé du débat.»CARLYLE.C'était un été particulièrement luxuriant il semblait que le soleil avait tiré de l'île une munificence spéciale car jamais nous n'avions eu une telle abondance de fruits et de fleurs jamais la mer n'avait été si chaude et poissonneuse jamais tant d'oiseaux n'avaient élevé leurs petits ni tant de papillons et autres insectes n'avaient éclos et miroité dans la campagne. Les pastèques à la chair aussi craquante et fraîche que de la neige rosée étaient de formidables boulets de canon botaniques d'une taille et d'un poids suffisants pour détruire une ville les pêches orange ou roses comme la lune des moissons pendaient énormes dans les arbres leur peau épaisse et veloutée gonflée par le jus sucré les figues vert et noir craquaient sous la pression de leur sève et les cétoines dorées nichées dans les fentes roses s'enivraient de ces largesses sans fin. Les arbres gémissaient sous le poids des cerises si bien qu'on eût dit que quelque grand dragon s'était fait tuer dans les vergers éclaboussant les feuilles de gouttes de sang écarlate et lie-de-vin. Les épis de maïs étaient longs comme le bras lorsqu'on mordait dans la mosaïque de grains jaune canari le jus blanc et laiteux explosait en bouche. Quant aux arbres qui grossissaient et engraissaient en prévision de l'automne ils étaient pleins d'amandes et de noix vert jade et d'olives lisses et brillantes comme des oeufs d'oiseau pendus entre les feuilles.Naturellement l'île débordant ainsi de vie mes activités de collecte redoublèrent. En plus de l'habituel après-midi que je passais chaque semaine avec Théodore j'étais en mesure d'entreprendre des expéditions beaucoup plus complètes et audacieuses qu'auparavant car je disposais à présent d'une ânesse. Cet animal répondant au nom de Sally m'avait été offert en cadeau d'anniversaire et comme moyen de parcourir de longues distances en transportant beaucoup de matériel elle se révéla pour moi une compagne inestimable quoique têtue. Pour compenser son entêtement elle possédait cependant une grande qualité : à l'instar de tous ses congénères elle était d'une patience infinie. Elle se contentait de regarder dans le vague pendant que j'observais telle ou telle créature à moins qu'elle ne plonge simplement dans cette somnolence propre à sa race cet état joyeux proche de la transe que les ânes parviennent à atteindre quand les yeux mi-clos ils paraissent rêver à quelque nirvana et deviennent insensibles aux cris aux menaces et même aux coups de trique. Les chiens après un court instant de patience se mettaient à bâiller à soupirer à se gratter montrant par tout un tas de petits signes qu'ils estimaient que nous avions consacré suffisamment de temps à une araignée ou quelle que soit la chose qui m'occupait et que nous devions reprendre notre chemin. Sally une fois assoupie donnait l'impression de pouvoir rester là gaiement durant plusieurs jours si nécessaire.
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